Témoignages

René Ach dans son atelier des frigos en 2005

René Ach, rêve de transparence

par Jacques Gaucheron

Bien sûr qu’il y a investissement du sujet, par le biais d’une technologie moqueuse. Pinces et fer à souder, il naîtra des roues, des pignons, des rouages, des engrenages. Par-là se révèle l’obsession du sculpteur : la mobilité.
Et plus encore par la lancinante présence d’une manivelle offerte à l’intervention souhaitée du spectateur participant.
Machines machinales qui avouent la tentation de l’emprise mécanique. Une technologie attentive et ironique qui surprend, répète sa surprise et semble jouir d’un fonctionnement évasif, une instrumentante gratuite trifouillant les profondeurs.
Il y a du Descartes là-dessous et le vaste rêve intelligent des animaux machines ; il y a du La Mettrie et son image raisonnée de l’homme-machine.

La réplication mécanique est ambitieuse de main mise, pour s’emparer de quelque secret. Mais aussi rêve de transparence, dans un monde aux mécanismes opaques.


René Ach, la Chine et la manivelle

par Daniel Mermet

C’est en Chine que fut inventée la manivelle. J’ai appris ça récemment et j’ai pensé à René. Voilà bien une chose dont nous aurions parlé ensemble : L’étonnement de ce chinois qui avec un morceau de fer tordu engendre une révolution universelle. Imaginait-il ces millions d’hommes et de femmes à jamais affranchis des seaux et des fardeaux et qui se redressent et inventent des machines nouvelles, des écluses, des phonographes, des pédales de vélo et des orgues de barbarie ?
C’est à cet étonnement que René aura dédié l’œuvre de sa vie. C’est à cet étonnement qu’il nous ramène à jamais, à ces matins du monde qui s’appellent la roue, l’engrenage, le ressort, la charnière, l’hélice… À chaque fois ce fut bien une révolution aux conséquences infinies, chaque fois une émancipation.
Professeur, sculpteur, mais aussi homme d’engagement, René Ach avait foi dans ces possibles et ses œuvres en apportent la preuve et la promesse. En ces temps de peur et d’exclusions, nous inviter à tourner une simple manivelle pour voir s’ouvrir des ailes ou se fermer un poing, ou sortir une dame nue d’une boîte de soupe de poisson, n’est pas un simple tour de force. C’est nous redonner confiance dans notre capacité à inventer et à agir contre la tristesse où nous sommes réduits, la tristesse du renoncement. C’est nous montrer qu’il y a toute une mécanique, rouages, leviers, ressorts, que nous pouvons mettre à nu et démonter et mettre en mouvement dans un sens différent.


Ma rencontre avec René Ach

par Patrizia Nitti

Emmenée un matin gris dans son atelier des Frigos par une amie sculpteure enthousiasmée par son travail, j’ai de cet endroit un souvenir magique. Une rupture totale avec le quotidien, un moment plein de poésie. Je me souviens d’un homme à l’aspect fragile qui m’observait à distance, jusqu’à ce qu’il se rende compte que j’étais entrée dans son univers. Alors il a commencé à parler et, au fur et à mesure que je découvrais son travail, il s’illuminait et racontait.
J’ai eu beaucoup de mal à décider quelle sculpture allait vivre avec moi. Très souvent en voyage, je suis très attentive au choix de l’univers qui constitue mon périmètre. L’œuvre qui était devant moi était si riche, intelligente, cultivée, un mélange de technique avec la cinétique, d’art avec la culture et la mémoire, d’artisanat avec l’habileté manuelle, mais aussi de poésie. Tout en elle respirait la joie et la générosité. Fils de Jean Tinguely, et des nouveaux réalistes, mais aussi de la recherche scientifique, bien ancré dans son époque, il en avait compris les limites. Il était là comme pour éclairer les idées sur l’art contemporain.
Ce matin là, le temps pressait et je suis repartie sur ma faim, mais en emmenant avec moi une sculpture qui a tout de suite trouvé sa place dans ma vie. Pas une personne depuis n’est venue chez moi sans la remarquer et surtout sans entrer dans son interaction.
J’ai téléphoné de nombreuses fois. Beaucoup de mes amis voulaient venir à son atelier. J’avais des projets pour lui, mais il ne répondait pas. J’ignorais qu’il était malade…